Des élastomères magnétorhéologiques au service de la médecine

Distinction Ingénierie et systèmes

Kostas Danas, chercheur CNRS au Laboratoire de mécanique des solides (LMS – CNRS/École Polytechnique), développe une application biomédicale pour des élastomères chargés de particules magnétiques. Pour ce projet, il vient de se voir attribuer une bourse « Proof of concept » par le Conseil européen de la recherche.

Le projet « MagnetoSense » de Kostas Danas fait partie des quatre lauréats français de l’appel « Proof of concept » retenus fin mai 2022 par le Conseil européen de la recherche (ERC). Ce financement complémentaire aide les scientifiques bénéficiaires à développer une piste applicative pour des résultats exploratoires obtenus dans le cadre d’une bourse ERC. La bourse va ainsi permettre à Kostas Danas, chercheur CNRS au Laboratoire de mécanique des solides (LMS) et professeur chargé des cours à l’École Polytechnique à Palaiseau, de développer une application biomédicale pour les élastomères magnétorhéologiques (MRE).

« Les MRE sont des élastomères mécaniquement très souples et déformables, chargés en particules magnétiques, résume Kostas Danas, tenant entre ses doigts un exemple sous forme de petit caoutchouc aimanté. Tout le monde connait les aimants habituels, qui sont rigides et fragiles. Les MRE ne le sont pas, et permettent d’obtenir des formes plus complexes. » Les MRE peuvent également se déformer significativement lors de l’application d’un champ magnétique externe.

En 2014, Kostas Danas avait obtenu une bourse ERC « Starting Grant » pour parvenir à la compréhension de ces MRE, tant dans leur mise au point que dans la modélisation de leur comportement. « C’était un type de matériaux assez nouveau, dont les industriels sont peu nombreux à connaître l’existence, souligne le chercheur. Du coup, on fait toute la chaine : fabrication, expérimentation, modélisation théorique et numérique, etc. » Ainsi, comme les MRE ne sont pas commercialisés, « nous les fabriquons nous-même en mélangeant des polymères avec des particules d’aimant au néodyme (NdFeB) », grâce à des moules ou à de l’impression 3D.

Depuis quelques années, des études sur les MRE sont menées dans différents pays et de nouvelles applications sont en réflexion. Mais l’équipe de Kostas Danas et Laurence Bodelot fait figure de pionnière, lui-même menant des recherches sur ce matériau innovant depuis 2009. La bourse ERC « Proof of concept » obtenue récemment va lui permettre de poursuivre ses travaux en se penchant sur une application biomédicale concrète.

Utiliser les MRE comme capteur haptique

Les sens de la vue et du toucher représentent la base de toute intervention chirurgicale en médecine. Le sens de la vue a été et continue d’être largement développé grâce à l’utilisation de micro-caméras, d’IRM, de rayons X, etc. Mais dans de nombreux cas, la vision ne suffit pas. Le sens du toucher est nécessaire pour identifier la raideur de l’organe ou du tissu sous-jacent et appuyer plus ou moins pour effectuer une incision, retirer une tumeur ou même déplacer un cathéter à l’intérieur d’une vaine incurvée. Cette raideur est transmise au doigt du chirurgien sous la forme d’une information « pression-déformation ». Ce sens haptique est naturellement présent au bout de nos doigts. Néanmoins, avec le développement récent des techniques non invasives, le chirurgien manipule des dispositifs robotiques qui délivrent des informations optiques via un écran mais perd toute information haptique puisque ses doigts ne sont pas en contact direct avec l’organe.

Le projet « MagnetoSense » permettrait donc d’utiliser une membrane en élastomère magnétorhéologique comme capteur haptique. « Quand un matériau est magnétique, il travaille dans les deux sens : soit en application magnétique et il se déforme, soit il se déforme et le champ magnétique qu’il créé autour de lui change, explique Kostas Danas. Notre équipe se penche donc sur ce deuxième aspect, à l’inverse de la majeure partie des travaux menés sur les MRE. »

La nature très douce des MRE permettra une mesure très sensible de forces aussi faibles que celles ressenties en touchant un gel mou ou une peau de bébé. Pour l’application biomédicale du projet, l’équipe de Kostas Danas collabore avec le Dr. Arturo Consoli (INR) de l’hôpital Foch à Suresnes. Si la démonstration de la faisabilité du projet « MagnetoSense » est un succès, cela pourrait ouvrir le chemin vers de nombreuses autres applications robotiques et biomédicales.

© Kostas Danas