La recherche au secours du patrimoine submergé

Les épaves héritées de la deuxième guerre mondiale, véritables reliques archéologiques, sont menacées par la corrosion progressive qu’elles subissent en mer. Le projet ANR SOS Save our Shipwrecks, porté par le CNRS et le CEA, a pour but de créer des outils de conservation de ces patrimoines sous-marins en danger. Retour sur les avancements du projet depuis son lancement en mai 2019.

Les géants engloutis par les flots des premiers conflits mondiaux risquent de sombrer une deuxième fois, dans l’oubli. Bateaux militaires ou munitions, à mesure que la mer les dégrade, leur richesse archéologique risque d’être complètement perdue. Lieux de recueillement, sites de plongée rassemblant amateurs et professionnels, ou vestiges du passé chers aux archéologues : ces bâtiments enfouis portent un enjeu de conservation.

Pour répondre au problème de préservation du patrimoine sous-marin, le projet SOS Save our Shipwrecks a été lancé le 2 mai 2019. Ambitieux, il vise à développer des outils de protection. Le laboratoire de Florence Mercier, chercheuse CNRS au Laboratoire archéomatériaux et prévision de l'altération de l’unité Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l’énergie (NIMBE – CNRS/CEA), en charge du projet, va ainsi conduire, avec son consortium de laboratoires partenaires1 , divers tests sur deux épaves ayant coulé pendant la deuxième guerre mondiale. L’une, à Dieppe, a coulé dans la Manche en 1945, et se situe à 23m de profondeur. L’autre, située à 50m de profondeur, a coulé à Port-Vendres en méditerranée en 1944. Les différences de profondeur et d’exposition aux courants marins permettront de tester le protocole de protection dans des conditions diverses. Il se base sur une forme de protection cathodique, dont une technique consiste à générer du courant dans une anode « sacrificielle » à proximité de la surface à protéger, afin de dévier la dégradation de l’épave en la concentrant sur l’anode de zinc - un matériau moins noble que le fer. Bien qu’efficace, cette technique doit être mise à l’épreuve du réel, face à un métal déjà altéré par une épaisse couche de corrosion, aux écosystèmes nés à la surface de l’épave, et à l’instabilité de l’environnement marin.

  • 1Le consortium de laboratoire comprend le LAPA, coordinateur du projet, l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux (IPREM - CNRS/Université de Pau et des Pays de l’Adour), le Département de Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM) du Ministère de la Culture, et A-CORROS, acteur privé du consortium.

Une première phase concluante

Un an après le commencement du projet, Florence Mercier revient sur ce qui a déjà été accompli : « Pour l’instant il a surtout s’agit d’établir un diagnostic, un état des lieux de l’environnement des deux épaves. » Dans ce but, des morceaux de tôle ont été prélevés des carcasses métalliques pour analyses. Les laboratoires du consortium1 se répartissent la tâche entre l’analyse de biofilms bactériens, de la biodiversité à la surface du métal (IPREM), des couches de corrosion (NIMBE/LAPA) et la détermination du courant de protection cathodique à apporter (A-CORROS).

La biodiversité bactérienne est passée au peigne fin pour étudier l’impact des biofilms sur la corrosion du métal. Là où certaines souches de bactéries peuvent jouer un rôle protecteur, d’autres accélèrent le processus de dégradation. Cette biodiversité tient donc un rôle important qui doit être pris en compte. L’équipe de Florence Mercier, quant à elle, étudie la corrosion métallique. Pour savoir comment protéger le métal qui constitue l’épave, il faut savoir à quel point il est déjà endommagé : « Le principal problème est que les calculs de courant de protection cathodique pour protéger des équipements sont basés sur la dégradation de matériaux neufs, mais il y a très peu de données sur le métal déjà endommagé. Sans elles, il est dur d’évaluer la taille et l’intensité du courant qu’il faut appliquer aux anodes. » L’environnement qui entoure l’épave a aussi son importance. Pour comprendre l’impact que la corrosion du métal peut exercer sur le milieu environnant, les équipes de plongeurs associées au projet ont prélevé des échantillons d’eau et de sédiments à différentes distances des épaves. Ces prélèvements permettent de connaitre le taux de polluants, notamment de métaux lourds, émis par la dégradation de l’acier. Les résultats sont impressionnants : à proximité de l’épave, les sédiments prélevés ont pris une teinte noire qui se distingue clairement de la couleur naturelle des sédiments.

  • 1Le consortium de laboratoire comprend le LAPA, coordinateur du projet, l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l’environnement et les matériaux (IPREM - CNRS/Université de Pau et des Pays de l’Adour), le Département de Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-Marines (DRASSM) du Ministère de la Culture, et A-CORROS, acteur privé du consortium.
Echantillons de sédiments prélevés au voisinage de l’épave du HMS Daffodil en mai 2019 et à différentes distances. © LAPA

En parallèle de ces prélèvements, des coupons de métal ont été disposés dans cet environnement pour étudier la vitesse de dégradation du métal tous les 6 mois jusqu'à la fin du projet. Là encore les premiers résultats ne se sont pas fait attendre puisque les coupons non protégés cathodiquement sont devenus jaunes au bout d’une journée, là où ceux bénéficiant d'une protection ont gardé la couleur du métal.

La première année du projet a donc été concluante pour les chercheurs. Suite à cette phase de diagnostic, les équipes de scientifiques passeront à une phase de protection cathodique complète des épaves qui durera un an, à partir d’octobre 2021.  

Plongeur à proximité des coupons de métal placés sur l'épave de l'HMS Daffodil. Les coupons non protégés ont jauni sous l'effet de l'environnement marin, contrairement à ceux bénéficiant d'une protection.© Frédéric Osada