Mesurer les états quantiques grâce aux réseaux de neurones

Résultat scientifique

Le réseau de neurones quantique développé par le projet qDynnet permettrait de reconnaitre les états quantiques, de la même manière que l’intelligence artificielle reconnait des images ou des sons. Danijela Marković, chargée de recherche CNRS à l’UMPhy, est lauréate d’une bourse ERC « Starting Grant 2022 » pour ce projet.

Avec qDynnet, de la même manière qu’un réseau de neurones classique peut apprendre à reconnaitre les images de chats et de chiens, un réseau de neurones quantique pourrait apprendre à distinguer les états quantiques. C’est là tout le défi scientifique que Danijela Marković, chargée de recherche CNRS à l’UMPhy1 située à Palaiseau, souhaite relever avec son projet qDynnet, lauréat d’une bourse ERC « Starting Grant 2022 », dans le cadre du programme Horizon Europe. Le soutien financier de cette prestigieuse bourse aide les jeunes chercheurs à lancer leurs projets, former leurs équipes et poursuivre leurs idées les plus prometteuses.

Les systèmes quantiques sont décrits par des distributions de probabilité. Ceci leur permet de se trouver dans une superposition d’états. L’approche standard à la réalisation d’un ordinateur quantique utilise des qubits. Un qubit est le pendant quantique du bit classique : il s’agit de l’unité élémentaire pouvant porter une information quantique. Alors qu’un bit classique ne peut représenter qu’une seule valeur binaire, 0 ou 1, les qubits peuvent se trouver dans l’état 0, dans l’état 1, ou encore dans une superposition de 0 et 1. Ce dernier état de superposition offre aux ordinateurs quantiques des capacités de calcul supérieures.

« On cherche encore la meilleure manière d’exploiter la physique quantique pour calculer, soulève Danijela Marković. L’ordinateur quantique universel nécessite un très grand nombre de qubits de très bonne qualité. Malgré les avancées de ces dernières années, il reste encore du chemin à parcourir ; mais les ordinateurs quantiques dédiés à des tâches spécifiques seraient plus simples à réaliser. »

Par exemple, dans le domaine de l’intelligence artificielle, les réseaux de neurones sont des algorithmes imitant le fonctionnement du cerveau humain et dédiés aux tâches d’apprentissage, telles la classification ou la reconnaissance d’images ou de sons. Ceux-ci ont révolutionné les méthodes d’apprentissage automatique ces dernières années.

« Il y a plusieurs raisons à vouloir transposer les réseaux de neurones dans le régime quantique : les besoins en matériel quantique pourraient être plus faibles que pour un ordinateur quantique universel, explique la chercheuse. De plus, les réseaux de neurones sont assez résistants au bruit lors de traitement de données et on peut donc imaginer qu’ils seront plus tolérant aux fluctuations parasites présent dans les composants. »

En effet, le premier travail théorique a montré que l’avantage d’un traitement quantique, comme la capacité d’un ordinateur quantique à effectuer des calculs plus vite que les ordinateurs classiques, pourrait aussi être obtenu avec des réseaux de neurones quantiques, « qui pourront apprendre plus vite, avec un plus petit nombre d’exemples et en consommant moins d’énergie », souligne Danijela Marković. De premières tentatives de réalisations expérimentales ont été menées, à l’aide de qubits. Mais ces derniers présentent une faible connectivité, ce qui complexifie la réalisation de réseaux de neurones denses.

C’est là qu’intervient le projet qDynnet, avec l’utilisation d’oscillateurs quantiques, implémentés avec des circuits supraconducteurs, à la place des qubits. Cela devrait permettre d’obtenir des réseaux de neurones quantiques de taille, de connectivité et d’accordabilité sans précédent.

Avec qDynnet, les neurones seront implémentés comme des états de base d’un ensemble d’oscillateurs quantiques couplés, et les connexions entre les neurones comme des transitions entre ces états. « L’idée sera d’exciter une dynamique dans le système, pour permettre d’activer des transitions entre niveaux, explique Danijela Marković. Cela nous permettra d’obtenir un système avec un très grand nombre de niveaux connectés de manière dynamique. » D’où le nom du projet qDynnet, pour « Quantum dynamical neural networks ».

Cette nouvelle approche pourrait permettre une reconnaissance automatique des états quantiques. Une reconnaissance essentielle puisqu’aujourd’hui, un état quantique sortant d’un système ou d’un ordinateur quantique est difficile à identifier.

En effet, cette identification suppose, par les méthodes expérimentales actuelles, la mesure d’un grand nombre de copies identiques d’un état. « Cela nous permet de reconstruire, à partir de ces statistiques, la distribution de probabilité de cet état », explique Danijela Marković. Mais il existe des états dont les distributions de probabilités se ressemblent beaucoup et qui nécessitent un très grand nombre de mesures pour être distingués.

Le réseau de neurones quantique développé par le projet qDynnet permettrait d’amplifier les différences entre les états quantiques et ainsi de les distinguer plus facilement, en une seule mesure. « L’idée serait d’utiliser ce réseau de neurones quantique de manière analogue. En effet, ce n’est pas un objet abstrait, c’est un petit système quantique sur une puce, décrit Danijela Marković. Il serait possible soit de le connecter à la sortie d’un ordinateur quantique, soit de le fabriquer sur la même puce qu’un autre système quantique. Il pourrait ainsi se coupler à cet autre système quantique et reconnaître directement son état quantique. »

  • 1Unité mixte de physique CNRS/Thales (UMPhy – CNRS/Thales/Université Paris-Saclay)
Le circuit supraconducteur réalisé à l'UMPhy qui implémente un réseau de neurones quantiques. © DR