Ce que nous percevons n’est pas nécessairement ce que nous voyons : quel est le rôle des mouvements de la tête dans la perception visuelle ?

Résultat scientifique Biologie

Guy Bouvier, chargé de recherche CNRS à NeuroPSI1 , est lauréat 2022 d’une bourse ERC « Starting grant » pour mener à bien son projet SensoMotion visant à comprendre les circuits du cortex cérébral essentiels à la perception visuelle lorsque nous explorons notre environnement.

  • 1Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI - CNRS/Université Paris-Saclay)

Comment les mouvements de la tête impactent notre perception visuelle ? C’est à cette question que va répondre le projet SensoMotion, pour lequel Guy Bouvier vient d’obtenir une bourse ERC « Starting grant 2022 », dans le cadre du programme Horizon Europe. Le soutien financier de cette prestigieuse bourse aide les jeunes chercheurs à lancer leurs projets et former leur équipe, afin de poursuivre leurs idées les plus prometteuses.

Les travaux de l’équipe de recherche de SensoMotion se concentreront sur l’intégration de signaux venant de deux organes : les yeux, véritables caméras sur le monde, et le système vestibulaire de l’oreille interne, semblable à un détecteur de mouvements de notre tête.

« De façon un peu simpliste peut-être, nous considérons souvent que chacun de nos cinq sens possède une aire corticale dédiée uniquement au traitement de son information », explique Guy Bouvier. Pourtant, ses précédentes recherches ont démontré que les aires corticales primaires comme le cortex visuelle primaire répondent aussi aux mouvements de la tête : « Même si on met un animal dans le noir complet – sans aucun stimulus visuel – on observe de grandes modulations de l’activité neuronale dans le cortex visuel primaire lorsque l’on déplace passivement l’animal à l’aide d’une table rotative. » Ces résultats suggèrent que les mouvements de la tête peuvent directement affecter les premières étapes du processus de perception visuelle.

Avec SensoMotion, l’objectif est de franchir une nouvelle étape dans la compréhension de l’intégration sensorielle pendant des déplacements, car les êtres vivants bougent continuellement pour explorer leur environnement.  En utilisant la souris comme modèle d’étude, le chercheur va bénéficier de nombreux outils génétiques afin de révéler les circuits neuronaux nécessaires à la mise en place d’une représentation stable et précise du monde extérieur lors de nos déplacements. Pour répondre à ce problème, ce projet se déroulera en trois étapes.

La première étape servira à cartographier les circuits neuronaux connectant le système vestibulaire aux aires visuelles.

La deuxième étape déterminera les algorithmes génériques qui permettent d'intégrer des signaux visuels et vestibulaires dans le cortex visuel. L’enjeu est de comprendre « comment les circuits du cortex visuel primaire nous permettent de différencier nos mouvements des mouvements dans le monde qui nous entoure », résume Guy Bouvier.

Enfin, la troisième étape visera à comprendre comment les animaux utilisent le signal vestibulaire dans le cortex visuel pendant une tache comportementale. En effet, Guy Bouvier a émis l’hypothèse que la plupart des mammifères, comme l’humain ou la souris, utilisent ce signal afin d’estimer la distance des objets qui les entourent.

Pour tester cette hypothèse, Guy Bouvier utilisera des outils optogénétiques pour manipuler avec la lumière l’activité de circuits neuronaux connectant le système vestibulaire au cortex visuel primaire. « Pendant la tâche comportementale, je vais pouvoir éteindre les neurones qui donnent l’information des mouvements de la tête, détaille-t-il. Si la souris n’arrive plus à évaluer la distance entre des objets, je pourrai établir une relation de causalité entre ce signal vestibulaire dans le cortex visuel primaire et son rôle comportemental » Cela permettra de déterminer les circuits corticaux essentiels à la perception visuelle lorsque nous explorons notre environnement.

Le projet SensoMotion pourrait ouvrir la porte à une nouvelle façon d’étudier les systèmes sensoriels. « Depuis plusieurs décennies, les systèmes sensoriels, et notamment la vision, sont étudiés sur des animaux qui ont la tête fixe, parfois même anesthésiés. Cela comporte de nombreux avantages et nous a permis de faire de grandes découvertes, souligne le scientifique. En revanche, dans la vie de tous les jours, cela ne fonctionne pas ainsi : nos systèmes sensoriels utilisent énormément nos mouvements pour comprendre le monde extérieur. »