Synthétiser des composés naturels pour dépolluer l’eau

Chimie Terre et environnement

Le projet Oxyfilms, issu de travaux scientifiques menés au laboratoire NIMBE, a pour objectif de synthétiser des composés naturels, capables de dégrader des polluants, afin de les utiliser pour éliminer certaines pollutions des eaux.

La dépollution des eaux est un enjeu environnemental majeur affectant la qualité de l’eau potable, les écosystèmes aquatiques et les activités humaines. Une nouvelle forme de traitement pourrait résider dans le projet Oxyfilms, qui synthétise en laboratoire des composés naturels afin de les utiliser comme matériaux de dépollution. Après avoir démontré en laboratoire son efficacité face à différents types de pollutions, cette innovation prometteuse fait l’objet d’un projet de maturation avec la SATT Paris-Saclay et du soutien de la SNA Sci-ty. Le projet Oxyfilms est porté par Sophie Peulon-Page, chercheuse CNRS au laboratoire Nanosciences et innovation pour les matériaux, la biomédecine et l'énergie (NIMBE - CEA/CNRS1 ).

« Certains composés existant naturellement dans les sols - oxyde de fer ou oxyde de manganèse par exemple - sont des matériaux spontanément capables de réactions chimiques qui peuvent conduire à la dégradation de polluants organiques présents dans les sols, tels que les pesticides ou bien encore les médicaments ; mais également d’adsorber des métaux toxiques grâce à leur structure particulière », explique Sophie Peulon-Page. Le projet vise donc à synthétiser, en laboratoire, ces composés naturels, souvent impurs ou mal cristallisés quand ils sont dans les sols, puis de les utiliser pour dépolluer les eaux contaminées. 

« L’idée est de trouver le composé qui sera le plus efficace pour les applications visées, et de l’obtenir de façon reproductible, complète la scientifique. Nous développons donc les matériaux à façon, en fonction des polluants ciblés. » Ces composés naturels sont déjà largement étudiés par les scientifiques et sont la plupart du temps synthétisés sous forme de poudre par des voies chimiques qui peuvent s’avérer longues et complexes. Justement, ces écueils sont contournés dans le projet Oxyfilms, dont la particularité est de les synthétiser grâce à des méthodes électrochimiques. 

« Les méthodes électrochimiques choisies présentent aussi l’avantage d’être bien maitrisées, peu énergivores, peu onéreuses et permettant une production en grandes quantités, souligne la chercheuse du NIMBE, qui travaille sur le sujet depuis plusieurs années. D’où le projet de maturation : nous allons pouvoir développer ce procédé à l’échelle industrielle. »

En utilisant l’électrochimie, l’équipe de Sophie Peulon-Page synthétise les matériaux dépolluants sous forme de films nanostructurés, placés sur des supports solides et donc plus faciles à manipuler. « Nos films nanostructurés peuvent être utilisés tel quel : placés dans la solution contenant les polluants, ils sont capables de dégrader tout seul ces polluants grâce à leurs capacités naturelles, ajoute Sophie Peulon-Page. Pour des cas plus compliqués - par exemple si les polluants sont très concentrés ou particulièrement persistants - nous allons utiliser ces matériaux comme des électrodes. En rajoutant un peu d’électricité, les capacités de dégradation vont augmenter de façon très importante. »

Enfin, le dernier avantage notable des matériaux produits par le projet Oxyfilms est leur capacité à s’auto-régénérer pendant qu’ils dégradent les polluants. La porteuse du projet a donc l’objectif d’optimiser cette solution pour la dépollution de l’eau, avec l’ambition de fournir une méthode complémentaire aux procédés déjà existants pour le traitement des eaux des industriels, des collectivités, voire un jour de l’eau potable. « Notre objectif n’est pas de monter une start-up, mais de transférer la propriété intellectuelle, les brevets et savoir-faire à des industriels », complète la scientifique. 

Le procédé développé dans le cadre d’Oxyfilms a déjà fait la preuve de son efficacité en laboratoire sur divers polluants. « Nous avons travaillé sur un pesticide, le glyphosate, et son principal produit de dégradation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), encore plus persistant et toxique, et que peu de méthodes sont capables de dégrader, cite par exemple Sophie Peulon-Page. Nous avons montré que le matériau que nous synthétisons était capable de minéraliser l’AMPA à 80 %, alors que nous l’avons étudié à très forte concentration par rapport à sa concentration dans l’environnement. » 

Des recherches concluantes ont également été menées sur des médicaments, des détergents, des molécules utilisées dans l’industrie ou encore sur le carmin d’indigo, un colorant toxique utilisé pour les jeans et à l’origine de pollutions. 

Désormais, grâce à la maturation du projet, qui a débuté en avril 2024, les matériaux synthétisés dans le cadre d’Oxyfilms sont étudiés pour dégrader de nouveaux polluants, notamment des effluents fournis par des industriels, pour tester des applications concrètes. « Il reste encore du travail, mais au niveau scientifique, nous avons de très bons résultats, apprécie la chercheuse du NIMBE. L’objectif de la maturation est maintenant de passer de l’échelle laboratoire à une échelle pilote de plus grande taille et de continuer à développer les matériaux et les procédés associés. »

Ces travaux ont bénéficié d'une aide de l’État gérée par l'Agence Nationale de la Recherche au titre de France 2030 portant la référence « ANR-21-MATP-1602 ».

  • 1Le Nimbe est une unité mixte de recherche (UMR 3685) située à Gif-sur-Yvette (Essonne)